Des millions de hannetons menacent les forêts alsaciennes
Par Sciences et Avenir avec AFP - Publié le 22-06-2015
Après avoir dévoré les feuilles des forêts d'Alsace, des nuées de hannetons se sont reproduites... Leurs larves grignotent maintenant les racines d'arbres parfois centenaires.
ENVAHISSEURS. De mémoire de forestier, l'ampleur du phénomène est sans précédent : après quatre ans sous terre, des centaines de millions de hannetons - des insectes coléoptères nocturnes - se sont envolés pour grignoter les feuilles des arbres de forêts alsaciennes. Leur présence massive fin avril 2015 a suscité de sérieuses inquiétudes. C'est un "gros bourdonnement continu", "comme un bruit d'hélicoptère" ou plutôt "de gros avions au loin", décrivent ceux qui, au crépuscule, se sont approchés des forêts vosgiennes du nord de la région il y a quelques semaines 15.000 hectares grignotés
Mâles en tête, des hordes de hannetons forestiers de 2 cm de long sont sortis de terre, avant de s'envoler par vagues successives, en zigzaguant vers la cime des arbres. Avec une nette préférence pour les chênes, mais sans dédaigner les hêtres et autres feuillus. "C'était Les Oiseaux de Hitchcock,mais version hannetons", plaisante Françoise Bourjat, la maire de Sparsbach. Ce village est situé au cœur de la zone infestée, au sein d'un ensemble de forêts domaniales et communales au nord d'Ingwiller (Bas-Rhin), représentant selon l'ONF (Office National des Forêts) une surface de près de 15.000 hectares. L'envol des coléoptères s'est répété tous les soirs pendant deux semaines, fin avril. Ils ont ensuite poursuivi leur grand festin de feuilles jusqu'au début du mois de juin, avant de tous mourir.
INNOMBRABLES. "Au total, je pense qu'un chêne sur deux a eu ses feuilles au moins en partie mangées, et peut-être 10% ont été presque complètement défeuillés", observe Joseph Meyer, cheville ouvrière de l'ONF dans la zone touchée. Il y a eu selon lui de 40.000 à 200.000 hannetons par hectare. Etant donnée l'étendue de la zone infestée, les hannetons ont donc été plusieurs centaines de millions au total. "On a arrêté de compter", plaisante Frédéric Guerin, porte-parole de l'ONF pour la région, "c'est d'une ampleur exceptionnelle aussi bien du point de vue de l'étendue géographique, que de l'intensité du phénomène". D'autres forêts françaises au sol sableux, comme celle de Fontainebleau, peuvent aussi connaître de fortes présences de hannetons, mais "il n'y a aucune trace de phénomènes similaires", dit-il, ni aucune explication des raisons de cette prolifération.
CONSÉQUENCES. Ce n'est pas l'envol spectaculaire des hannetons et le grignotage des feuilles qui inquiète : de nouvelles feuilles sont déjà apparues sur la plupart des arbres. C'est surtout le grignotage de leurs racines par les larves de l'insecte, pendant les quatre ans passés sous terre avant son envol. Dans la forêt, Joseph Meyer montre des parcelles éparses de jeunes arbres squelettiques : "Les racines de ces hêtres ont été mangées par les larves, ils ne passeront pas l'année". Un peu plus loin, en levant la tête: "celui-ci a plus de 100 ans, mais regardez ses branches sèches là-haut, ce n'est pas normal".
Laisser faire la nature
"Depuis deux-trois ans, on a des signes de dépérissement d'arbres adultes dans le secteur, peut-être liés à un déficit de racines dans le sol", et donc peut-être aux hannetons, indique Louis-Michel Nageleisen, expert référent national en entomologie forestière auprès du ministère de l'Agriculture. Ces dégâts souterrains, difficiles à évaluer et qui affectent tous les types d'arbres, vont se poursuivre pendant le nouveau cycle qui vient de s'engager. Car les hannetons, une fois repus, se sont aussi consciencieusement reproduits ces dernières semaines. Leur nombre va-t-il continuer à augmenter ou a-t-on atteint un pic? "On est incapable de l'évaluer pour l'instant, c'est la grande interrogation", dit M. Nageleisen.
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"Nos voisins allemands de la vallée du Rhin ont des problèmes avec les hannetons forestiers depuis les années 1980", dit l’entomologiste, "c'est resté épidémique chez eux pendant trente ans", même "s'ils on tout essayé" pour lutter, y compris des produits chimiques, sans succès. Par précaution, l'ONF a décidé de limiter les quantités de bois que les professionnels de la filière seront autorisés à exploiter en 2015, pour ne pas mettre en péril la régénération naturelle de la forêt fragilisée. "On va laisser faire la nature, elle va bien finir par rétablir l'équilibre", dit M. Meyer. En attendant, "le point positif, se console-t-il, c'est que ces hannetons n'ont aucun effet urticant pour l'homme".
RAPPEL de BIOLOGIE de L'INSECTE
1 année de plus que le HANNETON COMMUN...
Cette espèce effectue la totalité de son cycle en milieu forestier
Dans l'est de la France (Alsace), l'évolution d'une génération s'échelonne sur 48 mois et 5 années civiles. Des adultes peuvent apparaitre tous les ans, mais ils sont, pour une région déterminée, beaucoup plus nombreux tous les quatre ans (années de grand vol):
. Année 1 : Les insectes adultes sortent de terre en avril-mai. Ils s'envolent pour s'alimenter sur des essences feuillues, avec une préférence pour les chênes, et s'y accoupler. Les femelles fécondées reviennent vers le sol pour s'enfouir en terre (10 à 15 cm de profondeur) et pour pondre (15 à 30 oeufs). Une seconde ponte peut être effectuée par les femelles les plus vigoureuses, deux ou trois semaines à la suite de la première ponte et après une nouvelle nutrition.
- incubation des oeufs : 4 à 6 semaines environ
- le premier stade larvaire dure environ un an et les larves s'enfoncent dans le sol en automne pour hiverner.
. Année 2 : Les larves remontent à la surface du sol vers avril. La première mue larvaire a lieu en mai-juin (larve passant au stade L2). A l'automne, les larves s'enfoncent à nouveau dans le sol pour hiverner.
. Année 3 : Les larves reprennent leurs activités en mars-avril. La deuxième mue larvaire a lieu en septembre (larves passant au stade L3). Ces larves sont particulièrement nocives. A l'automne, les larves s'enfoncent à nouveau dans le sol pour hiverner.
. Année 4 : Les larves remontent à la surface du sol vers avril. Elles se nourrissent activement jusqu'à la nymphose qui intervient en juillet-août. Après une période nymphale de deux mois environ, les jeunes adultes rentrent en hivernation (en octobre environ).
. Année 5 : Au mois d'avril ou mai, les jeunes adultes s'envolent pour pondre. C'est l'année du grand vol.
Plus à l'ouest, ce cycle biologique peut être raccourci à 36 mois sur 4 années civiles. Il équivaut alors à celui du hanneton commun
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