VOIR PARTIE 01... LES MEDICAMENTS envahissent nos CAMPAGNES...
Quels effets ces produits ont-ils sur les espèces aquatiques ?
Plusieurs études ont mis en évidence des altérations de populations aquatiques reliées de façon certaine à la présence des substances actives dans l’eau. On peut par exemple citer :
· des perturbations de la reproduction des animaux (poissons, batraciens, mammifères marins), pouvant aller jusqu’au changement de sexe et associés à la présence d’œstrogènes [1] ;
· des modifications des populations bactériennes, avec en particulier un développement des bactéries résistantes aux antibiotiques, associées à une pression de sélection due à la présence permanente d’antibiotiques dans l’eau ;
· des modifications du comportement de poissons, par exemple perches rendues plus agressives du fait de la présence d’un antidépresseur (oxazepam) dans l’eau ; etc..
Plusieurs études menées sur des espèces de poissons différentes (vairon, poissons zèbres), ont montré des effets extrêmement marqués sur la reproduction (féminisation des mâles, diminution de la fertilité des œufs, etc.) pour des concentrations en ethinyl-estradiol inférieure au ng/L, soit 1 mg de produit actif pour 1 000 m3 d’eau (l’ethinyl-estradiol est l’œstrogène le plus utilisé au monde dans les pilules contraceptives).
De nombreux autres exemples sont cités sur internet ou dans la presse. Il est cependant extrêmement difficile d’apporter la preuve formelle de la relation de causalité entre l’exposition aux résidus de médicaments et la dégradation observée des populations d’organismes aquatiques.
Comment peut-on étudier les conséquences écologiques de la présence de résidus de médicaments dans l’eau ?
Deux méthodes principales sont utilisées pour étudier les conséquences de la présence d’un produit sur les écosystèmes :
· des analyses statistiques qui étudient les relations entre la présence de molécules particulières et la fréquence d’un problème. Cette méthode a par exemple permis de mettre en évidence le rôle de l’usage des antibiotiques en élevage dans le développement de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Ces études sont très difficiles à conduire du fait de la diversité des paramètres à mesurer et de leurs interactions.
· des expérimentations en conditions contrôlées permettant d’étudier les effets de composés bien identifiés sur des écosystèmes artificiels reconstitués.
Du fait de la complexité de telles études, les données de toxicité chronique sont actuellement peu nombreuses. On trouvera dans l’article de Collette-Bregand et de ses collègues de l’Ifremer une synthèse très intéressante des études les plus significatives.
En revanche beaucoup d’effets sont suspectés dans la mesure où les tissus et organes cibles visés par les médicaments chez l’homme ont souvent des équivalents chez beaucoup d’espèces sauvages.
Comment peut-on étudier les effets spécifiques de la présence de résidus de médicaments sur les organismes vivants ?
La mise en évidence de la relation de causalité est rendue également difficile par le fait que les mécanismes d’action des substances actives sur les organismes vivants sont complexes.
On s’intéresse en effet à l’exposition prolongée d’un organisme à un cocktail de molécules qui sont chacune susceptible d’interférer avec l’une des chaines biochimiques qui lui permettent de se développer, de se reproduire, ou simplement de survivre.
Si l’étude de la toxicité aigüe d’un produit est bien maîtrisée, il n’en est pas du tout de même de celle de sa toxicité chronique. Par ailleurs, tout organisme vivant est exposé en permanence à un grand nombre de substances qui interagissent avec lui-même, mais aussi entre-elles. L’origine de ces substances est très diverse, naturelle ou artificielle, et les résidus de médicaments ne constituent que l’une des pièces du puzzle. Il est donc difficile de séparer l’influence des résidus de médicaments de l’influence des autres polluants.
Comment les résidus de médicaments peuvent-ils agir ?
Même si l’on ne s’intéresse qu’aux résidus de médicaments, différents éléments doivent être pris en compte :
· Il est très difficile de travailler molécule par molécule alors que toutes les molécules d’une même famille pharmacologique (médicaments ayant les mêmes cibles) vont agir de façon complémentaire (par exemple la concentration totale en antibiotiques pourra être 10 fois supérieure à la concentration d’un antibiotique spécifique) ;
· Des produits appartenant à des familles pharmacologiques différentes peuvent également intervenir, soit en synergie (les effets se cumulent), soit de façon antagoniste (les effets s’annulent) ;
· Les effets peuvent être très différents selon le moment de l’exposition (période de reproduction, de croissance, etc.) ;
· Les effets peuvent ne se faire sentir qu’après une exposition prolongée (effets chroniques, accumulation dans un organe, accumulation dans la chaine alimentaire) ;
· Les effets peuvent augmenter jusqu’à une certaine concentration, puis diminuer alors même que la concentration continue d’augmenter (c’est par exemple le cas pour les hormones, ou les perturbateurs endocriniens).
Quels sont les risques pour la santé humaine ?
Les risques pour l’homme sont à la fois directs et indirects.
Le principal risque indirect est lié au développement de souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. Ce risque est réel et des mesures ont été prises pour limiter la présence de résidus antibiotiques dans les milieux aquatiques (en particulier réglementation, voire interdiction, de leur utilisation comme complément alimentaire dans l’élevage des animaux).
Les risques directs sont liés à l’exposition chronique de l’homme aux résidus de médicaments, par contact avec l’eau ou par consommation d’eau et/ou de poissons. Il a été démontré que les doses susceptibles d’être ingérées dans le « pire cas » restaient éloignées des doses thérapeutiques. Le risque direct semble donc faible.
Malgré tout, des effets toxiques restent possibles du fait du caractère chronique de l’exposition, des risques d’accumulation dans la chaine alimentaire et dans le corps humain et de potentiels effets cocktail. Ce risque est d’autant plus important que l’exposition existe à chaque âge de la vie et que par exemple les bébés et les enfants peuvent être extrêmement sensibles à certaines molécules. La vigilance est donc nécessaire.
Comment peut-on limiter les quantités de résidus de médicaments dans l’eau ?
Du fait de l’importance relative des sources, il est indispensable de conduire en parallèle différents types d’actions, mobilisant l’ensemble des acteurs et s’appuyant sur des outils et développements réglementaires, technologiques, pratiques et culturels :
· Diminuer les rejets d’antibiotiques provenant de l’élevage ;
· Diminuer les consommations de médicaments (effets mécaniques sur les rejets) ;
· Promouvoir la « pharmacie verte » (exemple : rajouter des groupements chimiques à la molécule active permettant de favoriser sa dégradation).
· Respecter les doses et les horaires de prise de façon à optimiser la métabolisation (et l’efficacité thérapeutique) ;
· Rapporter les médicaments non utilisés dans les pharmacies ;
· Diminuer ou traiter les rejets à la source en développant la collecte séparée (en particulier dans certains services des hôpitaux ou dans les établissements industriels de production de médicaments) ;
· Améliorer l’efficacité des stations d’épuration, en particulier en développant les traitements tertiaires, voire quaternaires.
L’efficacité des stations d’épuration pour éliminer les résidus de médicaments :
Une étude de synthèse publiée en 2012 (Verlichi et al., 2012) et portant sur 118 molécules thérapeutiques a montré que l’efficacité des traitements secondaires traditionnels dans les stations d’épuration était très variable et souvent insuffisante pour éliminer de façon satisfaisante les résidus de médicaments.
Ces résultats ont été confirmés par les projets de recherche AMPERES et ARMITIQ pilotés par l’IRSTEA avec un financement de l’ANR [2]. Ces projets se sont attachés à l’étude des micropolluants, en particulier les résidus de médicaments, dans les eaux usées urbaines et les boues en période de temps sec. Les principaux résultats sont les suivants : les traitements secondaires traditionnels sont souvent insuffisants pour éliminer la plupart des résidus de médicaments ; en revanche certains traitements tertiaires peuvent être efficaces pour beaucoup des substances étudiées, (rendement épuratoire de 60 à 80%) ; certaines molécules sont cependant difficiles à éliminer (par exemple l’aspirine) et nécessitent un traitement couteux par osmose inverse ou par charbon actif.
L’action principale consiste à ne plus utiliser les molécules les plus dangereuses
Ces actions utilisées de façon conjointe peuvent diminuer de façon importante les concentrations dans les milieux aquatiques. Elles ne peuvent cependant pas éliminer totalement tous les résidus.
Si certaines molécules présentent des risques avérés pour la santé publique ou pour la qualité des milieux récepteurs et qu’il est nécessaire de diminuer les concentrations d’un facteur 10 ou davantage, la seule possibilité consiste à limiter la prescription de cette molécule, par exemple en recherchant un produit de substitution. Ceci montre la nécessité de mieux connaître le devenir et les effets effectifs des résidus de médicaments dans l’eau pour des concentrations correspondant à celles observées (10 à 100 ng/L). Les recommandations du rapport du CGEDD préconisent ainsi de rendre ces études obligatoires non seulement pour toute nouvelle autorisation de mise sur le marché, mais également pour l’ensemble des médicaments existants.
Qui fait quoi ?
Dans le cadre de la lutte contre les pollutions dues aux micropolluants, au niveau européen, une liste de substances dites "prioritaires" (dont les rejets sont à réduire) ou "prioritaires dangereuses" (dont les rejets sont à supprimer) est établie et régulièrement actualisée. 3 médicaments entrent en 2014 dans une liste de "vigilance" pour inciter les états à faire un suivi de la présence de ces substances dans l’environnement.
Les ministères en charge de l’écologie et de la santé ont initié en 2010 et 2011 des plans d’action nationaux de lutte contre les micropolluants dans l’environnement, avec un plan spécifique sur les résidus de médicaments dans l’eau. Ces plans sont structurés selon trois grands axes : améliorer les programmes de surveillance des milieux et des rejets et évaluer les risques, réduire les émissions des micropolluants les plus préoccupants et définir des mesures de gestion, développer les connaissances et renforcer la veille prospective relative aux contaminations émergentes.
En France, les pouvoir publics investissent aujourd’hui dans le suivi et la recherche avant d’envisager l’engagement des collectivités dans des investissements conséquents pour traiter les résidus de médicaments dans l’eau et dans les boues issues du traitement de l’eau.
Selon cette orientation, un appel à projet conjoint à la direction de l’Eau du Ministère de l’Ecologie, à l’Onema et aux agences de l’eau a été lancé en 2013, pour encourager les collectivités et les scientifiques à travailler ensemble et tester, grandeur nature, des actions allant dans le sens des plans d’action.
[1] Les œstrogènes (ou estrogènes) sont des hormones naturellement sécrétées par l’ovaire et assurant la formation, le maintien et le fonctionnement des organes génitaux et des seins chez la femme. Ils entrent dans la composition de certaines pilules contraceptives et sont également prescrits pour différents troubles de la ménopause.
[2] Voir : http://armistiq.irstea.fr et https://projetamperes.cemagref.fr
Source http://www.graie.org/eaumelimelo/Meli-Melo/Accueil/
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