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Le réchauffement climatique diversifie les pucerons
On s’attend àe que le réchauffement climatique entraîne une baisse de
la biodiversité.
Ce ne sera probablement pas le cas pour les populations de pucerons,
dont le nombre d’espèces a augmenté en France de 20 % en trente ans, sans toutefois compter plus d’individus au total. C’est ce que révèlent les travaux de Maurice Hullé, chercheur de l’Inra à
Rennes.
Vous avez l’impression que les pucerons pullulent davantage sur votre rosier favori ?
Livrez-vous à ce petit exercice : identifiez laquelle des 700 espèces européennes, parmi les
4400 du groupe des pucerons, s’est invitée et répertoriez tous les insectes année après année. C’est ce genre de comptage qu’ont fait Maurice Hullé et les scientifiques du réseau EXAMINE pendant
40 ans, au moyen de 70 pièges à insectes installés dans 19 pays européens. Ces pièges aspirent tous les insectes à la hauteur de 12 m, essentiellement des pucerons ailés qui migrent pour
s’alimenter et se reproduire.
« Les pucerons représentent un intérêt majeur, explique Maurice Hullé. D’une
part, ils font partie des principaux ravageurs des cultures des zones tempérées de l’hémisphère nord. Toute nouvelle connaissance permet donc d’améliorer les modèles d’avertissement agricoles. D’autre part, ils constituent une ressource alimentaire importante des écosystèmes. Et surtout, ils réagissent très rapidement
aux augmentations de température : leur vitesse de développement et leur fécondité
en dépendent directement. »
Les températures influent sur la reproduction des
pucerons Comme pour tous les insectes, le développement du puceron est lié à la température.
Il est actif et se multiplie à partir de 4 °C, une température extrêmement basse par rapport aux autres insectes. Il s’épanouit pleinement entre 20 et 22 °C mais pas au-delà de 30 à 35 °C, d’où
sa préférence pour les zones tempérées. En outre, son temps de génération est
très court : un puceron donne vie à 18 générations par an alors qu’un papillon ne se
multiplie qu’une ou deux fois. « Si les températures augmentent de 2 °C, les pucerons passent à 23 générations par an. Avec une fécondité moyenne de 40 larves par pucerons et par génération,
on multiplie alors le nombre d’individus potentiels par cent millions ! » précise Maurice Hullé. Pourtant, les observations du réseau EXAMINE montrent qu’en France le nombre de pucerons est
resté stable pendant les trente dernières années ; seul le nombre d’espèces a augmenté de 20 %. Explication : les pucerons, qui se nourrissent de la sève des plantes, représentent eux mêmes une
source alimentaire très importante pour de nombreux prédateurs directs, coccinelles, petites guêpes, ou pour les champignons entomopathogènes avec lesquels ils constituent de véritables
écosystèmes.
Un équilibre semble donc s’être créé entre les pucerons et leurs ennemis naturels, qui
subissent eux aussi l’influence du réchauffement climatique, même si les chercheurs soupçonnent que tôt ou tard, la désynchronisation de leurs
développements respectifs pourrait le modifier.
Sur le plan de la biodiversité, le bilan montre que certaines espèces ont disparu mais que
beaucoup d’autres sont apparues au gré des échanges internationaux (denrées, plantes
d’ornements, passagers) tandis que les espèces rares ont vu leur nombre augmenter. La récente
hausse de la température aurait par ailleurs favorisé l’installation de ces dernières.
Un développement de plus en plus précoce Le deuxième effet particulièrement visible concerne les étapes du développement des pucerons, qui commencent de plus en
plus tôt.
C’est le cas de Myzus persicae, puceron vert du pêcher, qui se nourrit d’un grand
nombre de plantes sauvages et cultivées et transmet de nombreux virus végétaux. A la station expérimentale de Rothamsted (Angleterre), ses migrations de printemps sont de plus
en plus précoces. Elles se produisaient vers le 24 mai dans les années 1960, elles ont lieu
aujourd’hui vers le 7 mai. Dans le même temps, les températures moyennes de janvier et février sont passées de 3,3 à 4,6°C. « Ce phénomène est généralisable à un grand nombre d’espèces à
l’échelle européenne, précise Maurice Hullé, et si l’on se réfère aux prévisions actuelles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la précocité devrait
gagner encore un mois d’ici le milieu du XXIe siècle ! » Aujourd’hui, les chercheurs étudient d’autres effets du réchauffement climatique sur les pucerons, notamment
sur leurs modes de reproduction, sexuée et asexuée, qu’ils combinent au cours de l’année. Les
pucerons vont ils privilégier la reproduction asexuée, ou parthénogenèse, grâce à laquelle
une femelle pond des clones, larves immédiatement viables, qui leur assurent une
multiplication rapide ? Et cela au détriment d’une reproduction sexuée, où les oeufs, résistants au froid, sont immobilisés trois mois durant mais qui leur permet de générer de nouvelles
combinaisons génétiques ?
En d’autres termes, les chercheurs veulent vérifier si, à l’échelle de quelques dizaines
d’années, des changements évolutifs aussi importants sont possibles.
Magali Sarazin /-
INRA
MAGAZINE • N°2 • OCTOBRE 2007